Salut à tous, voici ma toute première version publique d’une de mes expériences d’octobre dans le Sahara. Ce n’est pas un version définitive mais une première étape. N’hésitez pas à me faire part de vos critiques sur la syntaxe, la compréhension et la structure. C’est grâce à cela que j’avance
Voilà un petit album qui correspondrait à l’ambiance de ce récit
Par contre il faut se connecter à son compte spotify (gratuit et rapide via FB) autrement ce ne seront que des extraits de titres.
AU COEUR DES DUNES
Cérémonie 1
LE LIEU
Installés sur l’une des plus hautes et des plus larges dunes des environs, nous voilà en cercle autour d’un grand feu dont les flammes dansent paisiblement. Le panorama est majestueux. Baignant dans son clair de lune, le Sahara nous dévoile son océan de dunes blanches comme recouvertes de neige dont les courbes s’entrelacent voluptueusement. Enivré de ce paysage surréaliste, j’attends sur mon lit de sable que commence la cérémonie.
Les Bédouins, qui nous guident au cours de cette semaine de trek nous rejoignent pour également y participer. Bien que musulmans, ils éprouvent un grand respect envers l’Ayahuasca et considèrent qu’elle peut être une puissante médecine. Ils marchent solennels et prêts et s’installent de leur côté en silence. Une brise fraîche glisse de dune en dune et vient à nous comme pour annoncer le début du rituel…
LA PRISE
Le chaman se place près du feu au cœur de notre cercle et récite ses invocations pour ouvrir notre cérémonie. Il s’assied ensuite et commence la distribution de la médecine. À mon tour je suis appelé. Je m’assieds devant lui et reçois l’Ayahuasca généreusement servi dans son petit gobelet. La boisson de ce soir, je la sens à son odeur, est excessivement forte. Je bois tout étant submergé d’un dégoût profond. Épaisse et amère, je la laisse s’écouler lentement dans ma gorge nouée. Et dire qu’à ma toute première retraite je trouvai qu’elle avait bon goût. Mon ventre convulse automatiquement sous les assauts des gorgées qu’il me faut pour vider mon gobelet. À chaque cérémonie, c’est de pire en pire et cette fois-ci l’écœurement est à son paroxysme. J’en frissonne dans tout mon corps. Je finis tant bien que mal mon verre et retourne à ma place.
Au bout de quelques minutes, à peine après m’être recouché, je me retrouve à lutter pour garder en moi cette boue acide qui me tranche et me tord les viscères. La brûlure et l’amertume sont telles que mon corps finalement abdique. Je vomis brutalement le breuvage. Par anticipation j’avais creusé un trou dans le sable au pied de ma couche. À chaque salve, mon estomac se retrousse douloureusement d’un cran comme pour me punir de ce que je viens de lui faire subir. Le goût du jus amer et chaud qui ressort du fond de ma gorge en giclant m’écoeure encore plus. Mes vomissements redoublent. Dans des contractions de plus en plus violentes et douloureuses, je me vide dans une symphonie de râles et de gémissements pour finir dans des chuintements gutturaux autant effrayants qu’écœurants.
L’Ayahuasca n’est jamais restée aussi peu de temps en moi. Quelques minutes tout au plus. Malgré cela, je m’effondre au bord de mon trou complètement épuisé par ces contractions. Dans ma tête, les deux mêmes pensées me sermonnent comme à chaque cérémonie : » Mais pourquoi est-ce que je fais ça ?! » et le classique « C’est vraiment la dernière fois !!! ».
ETAT ALTERNATIF
Après quelques minutes, je reprends conscience d’où je suis. Je me redresse tant bien que mal. Je regarde les étoiles scintiller dans le ciel, le feu qui crépite et les participants qui attendent en cercle, allongés ou assis immobiles et silencieux. Cérémonieusement, ils se lèvent chacun à leur tour pour aller boire la médecine du chaman. J’ai toujours eu de la culpabilité à être le premier à briser ces silences solennels en vomissant aussi bruyamment, mais à force je m’y habitue. Pour l’instant, personne d’autre n’a encore purgé, mais cela ne tardera pas.
Je réalise que j’ai de plus en plus de mal à contenir en moi l’Ayahuasca au cours des sessions. J’ai l’impression que cette intolérance croissante fait partie d’un processus qui m’échappe encore.
Le froid me gagne rapidement. Je me mets à trembler de tout mon corps. Je m’allonge à nouveau sur mon lit de fortune et m’emmitoufle dans mon sac de couchage essayant de me réchauffer en vain. Encore complètement remué par ma purge, je rentre dans un état second. Tout me paraît lointain autour de moi. Je me sens submergé d’une multitude de pensées, d’émotions, de sensations et d’images se brouillant les unes avec les autres. Je ne comprends rien à ce qui se passe dans ma tête. Est-ce que ce sont les effets de la médecine qui se manifestent déjà ? Après si peu de temps ? Je me sens trop lucide et conscient par rapport à mes autres cérémonies pour considérer qu’il s’agisse bien de l’Ayahuasca. Est-ce que je me suis conditionné au point d’en créer les effets ? Incapable de savoir si ces symptômes viennent vraiment de moi ou de la boisson, j’observe et j’attends. J’ai le sentiment que les effets somatiques de mon esprit et celles de la médecine ne font plus qu’un. D’un coup un flashback, je me rappelle avoir déjà vécu cet état, c’était à la fin de ma cérémonie précédente. Apparemment, je reprends là où je m’étais arrêté précédemment comme à chaque session. Je prends encore plus conscience d’être dans la continuité de l’apprentissage que je fais depuis de nombreux mois avec les plantes chamaniques. Je me sens de plus en plus capable d’activer ces multiples perceptions de réalités parallèles et de les superposer à celle de mon quotidien sans dépendre de médecines psychotropiques.
Au retour de cette retraite, je réaliserai que je suis beaucoup plus lucide de mes états seconds, éveillé comme endormi. Je comprends à quel point auparavant mon esprit pouvait être parasité et happé nuit et jour par toutes ces présences, ces images, ces voix, ces pensées, ces dialogues et ces interactions que génère notre inconscient collectif. Je sens cette énergie encore plus que jamais nous envelopper en permanence dans notre quotidien et nous influencer bon gré mal gré sans répit.
Je me sentirai plus conscient, vigilant et détaché de ce qui peut altérer l’équilibre de mon bien être. Je me sentirai tout simplement plus.
FRÈRES DE DOULEURS
Je me fais brusquement sortir de ma contemplation par les cris et les pleurs d’un des Bédouins. Ses hurlements sont si poignants que j’en suffoque. Je n’aurai jamais cru être témoin d’une tristesse aussi déchirante de ma vie. Un nœud gonfle dans ma gorge, submergé par l’émotion. Mes larmes coulent à flots et je pleure noyé par une peine profonde.
J’avais appris que cet homme avait tragiquement perdu récemment deux de ses frères . Toute sa souffrance est finalement en train de se libérer ce soir. Je subis une peine insurmontable. Je pleure avec lui, je pleure pour lui. Je nous sens connectés par un sombre lien.
Étrangement, ma tristesse se détourne petit à petit de lui et je me sens pleurer pour moi, comme si j’étais concerné très personnellement par cette tragédie. Soudain me revient en mémoire la discussion que j’avais eu avec lui la veille. Il m’avait dit comme plusieurs autres personnes au cours de ma vie que j’avais eu un frère et qu’il était mort. Je ne m’étais jamais vraiment senti touché par leur propos.
Effectivement, nous étions 2 au début de la grossesse de ma mère, mais la vie avait fait son choix. Un des 2 fœtus n’avait pas survécu aux toutes premières semaines. Je suis né avec un petit résidu embryonnaire sur le visage. Cela s’était manifesté par une boule au niveau de mon arcade sourcilière. Cela aurait pu être mon frère. L’opération pour le retirer s’était faite facilement et rapidement et je n’en ai eu aucun souvenir.
Pourtant, me voilà en train de pleurer de tout mon cœur ce frère. Je réalise que je suis en train de faire mes adieux et le deuil de celui qui n’aura jamais pu être là. Étrangement, je me sens comme me retrouver et me compléter après avoir tant subi ce manque tout au long de mon existence. Nous voilà ensemble, le Bédouin et moi, dans nos pleurs, en train de faire nos aurevoirs et nous réconcilier avec la vie.
Soudain, la voix du chaman s’élève dans la nuit et se met à chanter. Je l’entends dans une souffrance inhabituelle qui le prend à la gorge et qui le fait chanter légèrement faux. Il semble que le thème de notre cérémonie de cette nuit se dessine plus clairement.
Mes larmes sèchent et je me sens libéré et enfin réuni dans tout mon cœur.
J’AI TOUT GÂCHÉ
Je sens enfin clairement monter les effets de l’Ayahuasca. Elle est bien là avec moi. Je sens sa force, sa possessivité bienveillante et maternelle qui m’entraîne de plus en plus vers ses dimensions et ses visions. Je commence à comprendre la différence entre son énergie féminine et l’énergie masculine des champignons qui est beaucoup moins dans l’accompagnement et la pédagogie, mais plus dans la responsabilisation et l’indépendance.
Ma vue se brouille et devant moi soudain une scène apparaît. Je me fais happer par surprise dans cette vision plus vive que la réalité. Je vois ce vieil homme aux cheveux grisonnants. Tourmenté et amer, il est assis sur le bord d’une chaise dans une petite pièce vétuste et sombre, prisonnier de sa solitude. Complètement désespéré, il se prend la tête entre les mains se balançant d’avant en arrière torturé et rendu fou par tous ses regrets et sa vie ratée. Je l’entends répéter en boucle une seule phrase : “ J’ai tout gâché ! J’ai tout gâché ! J’ai tout gâché ! J’ai tout gâché ! …” Un sentiment d’horreur me glace le ventre. Cette scène me terrifie ! Elle est insupportable. Je reconnais ce vieillard qui me répugne.
C’est tout simplement moi… Voilà comment ma vie va finir. Quelle terreur de se voir à la fin de son existence pourrie par ses regrets, constatant qu’il est trop tard pour réaliser ses rêves et savourer sa liberté ! Quel cauchemar d’avoir été un loser fini et prétentieux et de ne s’en rendre compte que trop tard… Tout mon être hurle “Je refuse, je ne peux pas finir comme ça !!!”. Je me sens ridicule et lamentable de ne pas avoir eu le courage de profiter de ma vie. Quel gâchis !
La scène se dissipe et seule reste dans mon corps tout entier la plus grande des amertumes. Au fond de mon cœur, une détermination gronde.
“Je me jure de ne plus jamais m’oublier et de ne plus jamais négliger ma vie.”
LE CHOIX
La musique du chaman change. Une nouvelle chanson commence et me fait oublier cette terrible scène. Les effets augmentent et me connectent à un état de conscience supérieur. Devant moi, je vois les portes de l’Ayahuasca se matérialiser sous la forme d’un majestueux escalier de marbre. Cet escalier je le connais très bien. Je le regarde qui s’élève vers le ciel pour se perdre dans l’au-delà. Je garde en tête les dernières instructions qu’Aya m’avait fait vivre. Je ne dois plus me laisser entraîner par les visions et les pulsions. J’ai le choix de gravir ou non cet escalier. Je sais que choisir cette ascension m’a à chaque fois fait partir dans des dimensions infinies jusqu’à entièrement me dissoudre, mais je ne suis plus là pour ça.
Aya est l’entité féminine qui m’a toujours instruite de ses sagesses les plus profondes et toujours accompagnée dans les expériences les plus incroyables. C’est elle l’entité qui me guide à travers les portes de l’Ayahuasca. Au cours des cérémonies précédentes, elle m’avait montré comment rester centré en moi et rester dans ma réalité malgré la puissance de la médecine. Elle m’avait expliqué que je devais apprendre à utiliser en conscience l’Ayahuasca et ne plus la subir pour vraiment me soigner et faire grandir mon âme et mon corps. Elle m’avait enseigné que plus ma conscience évoluait plus les risques de me perdre et de devenir fou étaient importants. Pour cela, je dois être complètement concentré sur toutes les sensations de mon corps et si j’arrive à en être capable d’être lucide de tout ce que j’entends et de tout ce que je vois autour de moi. Sans bouger d’un seul millimètre je ne dois ni réagir ni lutter, simplement observer et ressentir. Je dois rester en conscience de ici et de maintenant.
Malgré les grandes puissances qui me poussent à me faire happer dans l’au-delà, je réussis à appliquer son enseignement et à ne pas prendre l’escalier. Comme par enchantement, celui-ci disparaît et à la place se met à circuler dans mon corps une force de plus en plus intense.
Je me sens encore plus en conscience et connecté. Je commence à voir avec les yeux de mon âme et de mon coeur tout ce qui m’entour. Les couleurs et les formes se ravivent et je les ressens en moi. Je vois par ce ressenti notre groupe près du feu et ce désert qui s’étend jusqu’à l’horizon étoilé. Je me sens en extrême lucidité.
La force s’intensifie
LA FORCE NOIRE
Continuant mon observation consciente, je vois soudain au loin avec stupeur, couvrant tout l’horizon, une masse noire apocalyptique déferler dans notre direction et recouvrir le ciel entier à une vitesse fulgurante. Elle se précipite vers nous, menaçante telle une vague sauvage et brute. J’ai le sentiment qu’elle n’apprécie pas du tout ma présence et vient me le faire comprendre. Cette entité noire recouvre maintenant complètement le ciel et ses étoiles. Le paysage est totalement obscurci. J’ai l’impression que le monde entier est enfermé sous cette chape de plomb. L’atmosphère est obscure et étouffante. Plus que jamais je fais attention à être dans le ressenti de mon corps et de tout ce qui m’entoure pour bien rester ancré. Malgré cela, je suis impressionné et profondément déstabilisé. Je n’ai jamais vu de ma vie une entité aussi énorme. Je la sens me guetter du ciel, pesante de toute sa masse juste au-dessus de ma tête comme un prédateur prêt à dévorer sa proie. Plus vaste que la voûte céleste, je la perçois jusqu’au plus profond de mes entrailles me scruter et me sonder. J’ai pu vivre et rencontrer beaucoup de choses, mais là j’ai du mal à ne pas être effrayé. Je perds tous mes moyens et commence à avoir peur. Quelle est la taille de cette créature qui va au-delà de l’imaginable ? Je l’observe en essayant de me ressaisir et j’attends. Et comme si elle n’appréciait pas ma tentative de retrouver un peu de mon courage face à elle, je la vois de sa taille aussi vaste que le ciel descendre et comprimer tout espace existant. Petit à petit, je la sens m’écraser sadiquement contre le sol en prenant tout son temps. Inexorablement, je sens chaque millimètre de mon corps se faire broyer contre le sable. Je réalise que cette expérience est aussi horrible que d’être enfermé dans une pièce dont le plafond descend en vous écrasant lentement et sûrement jusqu’à être réduit en bouillie. Ma poitrine et mon visage sont comprimés contre cette masse noire et dure qui s’étend à l’infini. Je suffoque, j’étouffe et au fond de ma tête je panique. Mais malicieusement, elle retient la pression de sa masse monstrueuse juste assez pour qu’un filet d’air circule en moi et que je puisse un peu respirer. Je me ressaisis et je réussis à retrouver ma foi. Je me dis que tout cela s’arrêtera à un moment ou à un autre comme à chaque fois. En réponse, elle augmente sa constriction sur mon corps comme pour tester ma consistance, comme pour voir si elle pourrait peut-être me fondre en elle. Je la sens intriguée de ma présence dans ces dunes et curieuse de savoir jusqu’à quel point je pourrai supporter cette expérience.
Pendant ce qui semble être un temps infini, je suis poussé à l’extrême et dans mes retranchements. À bout, j’accepte mon sort et j’accueille encore plus que jamais avec confiance tout ce qu’elle est en train de me faire subir. C’est une épreuve et je dois m’y soumettre. Elle augmente encore plus sa pression, mais je tiens bon. Ma foi grandit et je sais définitivement que je n’ai rien à craindre malgré l’intensité de cette expérience. Tout d’un coup, en une fraction de seconde, sans avoir même eu le temps de la voir et de la sentir, elle disparaît comme si elle n’avait jamais existé. Plus rien… Tout est paisible autour de moi comme si rien ne s’était produit du tout.
Je reste là confus et fasciné par cette rencontre, sous le choque. Je n’arrive pas à m’expliquer ce qui vient de m’arriver et qu’elle était cette créature. Mais je me résous et j’accepte de ne pas comprendre.
L’ENTITÉ DE LA DUNE
Je respire de tout mon cœur soulagé de cette expérience qui vient de s’achever et regarde les étoiles. Elles sont là, paisibles et scintillent de nouveau au-dessus de moi. Et dire que ce n’est que le début du voyage…
Mais étrangement, je commence à ressentir une nouvelle présence autour de moi. Une présence que je n’arrive pas à identifier. Mon ressenti s’approfondit et je réalise que cette présence est également sous mon corps, je dirai même plutôt que je suis sur elle… La Dune… Je la ressens… Lentement je sens ma conscience se diffuser en elle. Je sens sa taille. Aussi haute qu’un immeuble de 6 étages, s’étendant sur plusieurs centaines de mètres de longueur et de largeur. Les yeux grands ouverts je commence à voir fasciné comme une substance bleue et violette envelopper cette Dune et se mouvoir. Elle est vivante. Voilà à quoi ressemble vraiment cette masse de sable. Cette substance s’étend bien plus haut que la Dune elle-même. Je regarde notre groupe baigner dans cette matière. Nous sommes en elle, dans son creux. Je vois au sommet de cette masse colorée des dizaines d’immenses tentacules s’élever et se recourber dans une danse lente et majestueuse. À chacune de ses extrémités, une lumière brille comme une étoile. Je réalise que ces tentacules sont en train de nous envelopper et de nous palper de leurs extrémités lumineuses les uns et les autres. La Dune est consciente de notre présence ! J’éprouve une impression déplaisante malgré ce magnifique spectacle. Je la ressens nous goûter de ses tentacules… Je perçois sa conscience. Le concept de vie, de mort et de danger est inexistant pour elle. Je ressens sa nature et son habitude à engloutir inexorablement toute chose sur son passage. Ce qui est vraiment désagréable, c’est de ressentir la certitude que rien ne peut lui résister et nous aussi elle nous avalera où que l’on soit. Nous lui appartenons déjà et elle nous avalera comme tout le reste à un moment ou à un autre. Ce n’est qu’une question de temps et apparemment ce concept lui semble même plutôt abstrait et inutile. Je plonge plus profondément en elle tout en étant conscient de mon corps et de ce qui m’entoure. Je me sens perdu face à cette forme de vie qui me paraît totalement incompréhensible. Je plonge encore plus dans son corps et me sens devenir la Dune. Ni vivante ni morte, ni désirs ni besoins, mais intelligente. Je deviens son corps et son âme. Je découvre ce qu’est une entité minérale. Elle n’a ni tête ni queue, ni ventre ni dos, ni haut ni bas, ni avant ni arrière, ni faim ni soif et aucune fatigue. Tout en elle est asymétrie. Je la ressens tordue du côté gauche et je la sens remplie de millions de bosses et de creux. Elle est simplement une masse de conscience qui n’a rien à voir avec nous. Et étrangement ou presque, je commence à la sentir se glisser en moi et m’habiter. La Dune me pénètre et devient mon corps et je me redécouvre à travers sa conscience dans mes creux, mes bosses et dans toute mon asymétrie. Nous ne sommes pas si différents après tout. Je ressens nos corps se juxtaposer. Moi en elle, elle en moi, nous en nous.
LE PLONGEON
Subjugué, je me fais entraîner au plus profond de moi-même. Je sens ma peau et mes muscles envelopper chacun de mes os. Je sens cette masse toute molle envelopper ces tiges dures comme du fer. Et je plonge encore plus loin. Je me perds en moi même,
Mon esprit se réduit à la taille d’une molécule et je me perds dans mon corps qui prend les dimensions d’un continent. Je suis fasciné, je découvre les contrées et les paysages qui habitent ce monde de chaire. Je me sens curieusement accompagné d’une toute petite présence. C’est un petit garçon qui est là comme un compagnon de route. Mais le temps passe et s’étire et me voilà quelque part en moi perdu sans savoir où je suis, à errer pendant un temps qui semble infini sans pouvoir sortir de là. Je commence à désespérer. Mais soudain, je me rappelle, je dois me concentrer sur mes sensations et rien d’autre. Ne pas me faire détourner par mes perceptions. Et comme par magie je grandis et ce monde rétrécit et redevient mon corps. Je reprends forme et retrouve la conscience de tout mon être. Je
AU DELÀ DE LA SOUFFRANCE
La conscience de mon corps s’amplifie. Mes perceptions sont tellement démultipliées que je ressens les milliers de déformations, de déséquilibres, de tensions, de dysfonctions. Je ressens mon corps et la moindre de mes cellules en état de mort et de naissance. Mes sens sont à tel point intensifiés que toute sensation n’est soudain plus que douleur extrême. Je découvre un nouveau seuil de souffrance. Inévitable et tellement insupportable, je n’ai pas le choix que d’y faire face. Me voici vraiment à l’écoute de mon corps. Comme si cette épreuve ne suffisait pas, mon voisin de gauche se jette sur moi. Apparemment je suis devenue son ennemie et il doit en finir avec moi. Heureusement affaibli par la médecine il n’a pas plus de force qu’un chaton. Je trouve ça même presque mignon comparé à la souffrance que j’endure. Cela devient presque une distraction qui me soulage. Un des facilitateurs le recadre et me voilà de nouveau dans mon épreuve.
Encouragé par les tambours des chamanes, j’accepte ce que je crois être une guerre pour vaincre ma souffrance et mes douleurs. La torture s’étend sur des heures. Les sensations sont tellement violentes que j’en suffoque, j’entends ma respiration siffler entre mes dents serrées. Je grimace. Je veux être plus fort que mon supplice et je ne lâcherai pas. Je me sens rempli de douleurs intenses comme tailladé et poignardé par des milliers de lames de couteaux. Je suis poussé à bout. Je craque. Je n’ai jamais souffert autant et aussi longtemps de ma vie. Je n’arrive plus à me tempérer. Je ne peux plus faire semblant, je ne peux plus enfouir et cacher tout ce que je suis, je ne peux plus être que le vrai moi même, à vif et sans filtres. Toutes ces fausses parts de moi qui font mon hypocrisie, mes peurs et mes hontes face aux autres partent en lambeaux. Je me sens devenir réellement qui je suis, cru et sans masques. Je me sens comme dans un rituel tribal, où l’on me confronte à des épreuves extrêmes pour dépasser qui je suis et devenir un homme vrai.
LE COUTEAU DU GUERRIER
Une vision se manifeste devant moi. Je vois un couteau dont la pointe est tournée vers le haut et un autre dont la pointe est vers le bas. Depuis mes premières cérémonies, le couteau a toujours été un outil de confrontation et de lâcher-prise. Il s’agit d’accepter de tuer une partie de moi jusqu’à même mourir pour renaître. Je ressens l’énergie de ce couteau et comprends. Soit je l’aime et l’utilise pour moi et il devient ma force soit je le fuis auquel cas il se retourne contre moi et je me poignarde moi-même, je me trahit. Je comprends cette force qui fait partie de moi et je décide de l’accepter. Je prends le couteau tourné vers le haut. Je consens d’être enfin le vrai moi et faire de mes défauts et de mes peurs mes qualités, mes armes.
Brusquement, les douleurs dans mon corps explosent… Je m’évanouis…
EMBRASSER MA DOULEUR
Je me réveille sonné et rouvre les yeux, désorienté. Les étoiles scintillent tranquillement au-dessus de moi. Je respire et me rappelle de ce qu’il s’est passé. À peine je reprends connaissance qu’une vague de douleurs encore plus aiguës m’assaille. Cette fois-ci je décide de ne plus résister et lutter. Je tente d’être neutre et impassible et de laisser faire. Mais en vain. Je craque et je sombre encore une fois dans un coma… Je reprends à nouveau conscience et les souffrances reviennent de plus en plus intensément. Je suis confus, je vois que lorsque je m’évanouis les douleurs disparaissent et dès que je me réveille elles se ravivent de plus belle. Serait-ce ma conscience qui génère cette douleur ?
Je dois trouver une solution pour me sortir de cette torture. Et si je me trompais dans ma manière de percevoir les choses ? Et si j’écoutais ma douleur plutôt que de me battre contre elle ou de l’ignorer ? Et si ma conscience avait mal ?
Je décide d’écouter plus profondément ces sensations sans les rejeter. Je me concentre encore plus et plonge au cœur de chacune de mes douleurs les plus vives pour essayer de les guérir. Je les sens s’intensifier encore plus, surtout dans mon dos. Je les vois être reliées à certains de mes organes. Plus je plonge en elles plus je les sens comme si elles n’étaient que l’expression d’un message que je ne veux pas entendre. Comme si j’avais rejeté les pleurs de mon corps depuis trop longtemps. Je ressens et je vois ce corps tout d’un coup comme un organisme indépendant, un animal que j’habite, que je hante, que je possède et qui souffre de mon mépris et de ma maltraitance. Je réalise que mon corps a sa propre conscience et sa propre vie. Je le ressens vivre et me subir avec acceptation et sagesse. Je réalise que ce n’est pas moi qui souffre, c’est lui. Il est prêt à mourir et à agoniser pour moi avec dévotion et sacrifice. Je comprends que je dois m’en occuper et le chérir comme s’il était mon jumeau sous forme animale, mon fidèle compagnon de toujours. Je comprends que je dois l’écouter, je dois écouter ses cris qui me font si mal. Je dois apprendre à aimer et à embrasser ses douleurs, embrasser les mots de mon corps de tout mon cœur.
Je plonge encore plus dans la douleur qui devient plus extrême que jamais. Je me sens aller au-delà de la souffrance et tout devient flou autour de moi. Je commence à me retrouver plonger de lieu en lieu, d’espace en espace, des endroits que je crois ne pas connaître. Je me retrouve finalement dans un couloir obscur construit de vieilles pierres brutes au bout duquel descend un escalier qui se perd dans le noir. Je ressens un vague sentiment négatif comme si je connaissais ce lieu, mais je me rappelle de mes précédents enseignements avec Aya. Je dois toujours m’ancrer dans ma réalité et dans mon corps pour m’autoriser à rentrer dans ces visions. Je ne dois pas me laisser happer dans d’autres dimensions sans être enraciné en moi. Je me recentre en ressentant mon cœur battre et reviens dans mon corps. La vision disparaît. Je me retrouve à nouveau dans mes douleurs, mais cette fois elles commencent à se transformer au fur et à mesure en couleurs. Des teintes plaisantes chargées d’émotions. Je commence à comprendre les messages de mon corps. Chaque souffrance peu à peu devient une couleur et se transforme en bien être. Le dialogue vient de se faire entre nous. Enfin…
Je comprends que c’est moi qui refusai ces messages sensoriels et les déformai en douleurs. J’interprétai tellement mal les mots de mon corps que je m’inventais ces blessures pour ne pas entendre. Au contraire, Il suffit d’écouter sans laisser ma peur ni ma souffrance interpréter. Il faut écouter avec plaisir toutes ces vérités qui s’éveillent en moi. Je dois m’ouvrir à mon corps. Je dois l’aimer et lui être aussi dévoué que lui ne l’est avec moi. Avec plaisir et amour, j’écoute ses cris trop longtemps ignorés. Je me mets à ressentir une chaleur de bien être à la place de chaque souffrance. Je me sens transformer la réalité et la conscience de mon corps. Je découvre ce qu’est la sensation de guérison et comprends comment faire. Je commence à soigner mes douleurs en aimant là où j’ai mal.
LA GUÉRISON
Apposant tout l’amour de mon coeur sur mon corps, je sens chaque point de douleur se faire remplacer les uns après les autres par des points chauds qui diffusent une paix et un bien être en moi. Complètement frigorifié depuis le début de la cérémonie je sens enfin mon sang chaud circuler et pulser à travers tout mon corps. Ce flux de chaleur doux et réconfortant, que je viens de libérer par cette réconciliation, remplit mes membres. Je réalise à quel point dans notre quotidien notre souffrance physique peut devenir invisible pour notre conscient. Mais malgré tout, cette douleur est là, en nous, et nous façonne dans nos postures et nos tempéraments. Je comprends toutes ces personnes habitées par leurs souffrances, qui passent leur vie à lutter contre et à les projeter sur le reste du monde. Je comprends ces gens aux personnalités déformés par toutes ces douleurs refoulées à l’extrême et qui se transforment en esprit torturé et agressif.
LA PAIX
Après des heures et des heures qui semblent avoir été plusieurs vies, l’épreuve s’achève enfin. Je me redresse et m’agenouille. Plus de souffrance en moi. Je me sens libéré. Je me sens rempli d’un flot de chaleur et d’une énergie de paix. Je me lève et vais m’asseoir devant le feu central. Je me sens réuni à moi-même et en paix… Je vais enfin pouvoir me reposer.